Noms de domaine: évolutions et tendances

Quelque 170 participants ont assisté à Paris aux 1ères Rencontres Internationales des Noms de Domaine (RINDD) les 26 et 27 janvier 2009. Un programme fourni et de stimulantes interventions ont permis d’éclairer différentes questions et d’ouvrir de nouvelles perspectives, à l’heure où environ 168 millions de noms de domaine seraient enregistrés dans le monde. Voici quelques notes en forme de synthèse.

L’intérêt des RINDD – organisées efficacement par les équipes de Sedo et de MailClub – était de rassembler des acteurs très différents, mais tous intéressés à un titre ou à un autre par les noms de domaine (NDD): juristes, responsables d’entreprises et domaineurs (c’est-à-dire des personnes achetant et revendant des NDD à des utilisateurs finaux). Les organisateurs avaient fait appel à des intervenants de qualité et représentatifs des différentes approches du sujet: de l’avis unanime, les deux journées, animées avec talent et compétence par Cédric Manara, ont apporté une riche moisson d’informations et de réflexions. Selon les intérêts de chacun, les points importants peuvent sans doute varier: je mettrai ici l’accent sur des questions d’intérêt général, non seulement pour des personnes familières avec les NDD, mais aussi pour des lecteurs simplement désireux de s’informer sans être spécialistes du sujet. Tout en suivant plus ou moins l’ordre des sessions, il ne s’agit pas de proposer ici un compte rendu complet, mais de souligner quelques axes qui m’ont paru importants.

Le domaineur nouveau est-il arrivé?

Selon certaines estimations, il y aurait en France une centaine de domaineurs ayant un portefeuille de plusieurs centaines ou plusieurs milliers de domaines. David Chelly (ESG Paris) et « Inonuffin » (Forum NDD) ont essayé en ouverture de casser quelques clichés sur l’activité des domaineurs, souvent encore associés à des cybersquatteurs (par suite du mauvais exemple fourni par certains) ou à de simples spéculateurs: non sans laisser transparaître parfois leur souci de transformer cette image, ils ont insisté l’un et l’autre sur l’esprit d’entreprise caractéristique de la petite communauté des domaineurs en France aujourd’hui, pas forcément ou uniquement intéressés par des profits à court terme. Les domaines représentent un investissement, mais qui prend tout son sens dans le long terme pour celui qui en fait commerce – et qui devient bien sûr aussi un élément crucial pour la communication d’entreprises et autres groupes.

Aux côtés de Rémy Sahuc et de Cédric Manara, deux domaineurs face au public.

Comme le prouvèrent des interventions dans la suite des débats, plusieurs entreprises ont pleinement conscience de l’atout représenté par les noms de domaine dans leur stratégie de marketing: si beaucoup d’entreprises n’ont pas encore compris l’intérêt d’acheter même des noms de domaine dont elles n’auront pas l’utilité dans l’immédiat, d’autres (dont certaines représentées aux RINDD) ont en revanche pris toute la mesure du phénomène et possèdent des milliers de noms (y compris des noms récupérés par suite de litiges sur des utilisations problématiques: imitations du nom de l’entreprise avec faute de frappe ou autres tentatives d’utilisation illégitime d’un nom de marque). Les noms génériques, notamment (entendus ici au sens de noms qui désignent directement un produit) permettent souvent de renforcer la communication et d’amener sur un site des visiteurs qui deviendront pour certains des clients (une entreprise Dupont qui vend des meubles aura tout intérêt, si elle le peut, à acquérir meubles.com, meubles.fr, etc, outre le nom de l’entreprise dans les mêmes extensions).

Sur le marché des noms de domaine tel que peut l’observer Sedo, explique Rémy Sahuc (Sedo), une grande partie des ventes se font entre domaineurs; les ventes directement aux entreprises sur la plate-forme Sedo sont plus rares, mais plus élevées. La moyenne des ventes de NDD tourne actuellement autour de 1.500 €, avec les considérables variations que l’on imagine (à l’heure où sont rédigées ces lignes, le nom top.com avait dépassé 100.000 € dans des enchères en cours chez Sedo).

Le potentiel du .fr

Outre les extensions dites génériques (à comprendre ici comme générales, non nationales), que faut-il penser des extensions nationales, en particulier le .fr? Frères jumeaux,responsables de l’Agence de communication Tactique (sans relation bien sûr avec NameTactic, qui en a découvert l’existence lors des RINDD!), Antoine et Mathieu Samakh affirment – et ils ne sont pas les seuls – que les domaines en .fr ne sont pas simplement une solution de repli pour ceux qui sont arrivés trop tard pour enregistrer un nom en .com ou dans une autre extension mondiale (.org, .net, .info): certes, la saturation du .com favorise le développement des extensions nationales, mais le .fr offre aussi une crédibilité nationale, outre la vraisemblance d’y trouver un contenu francophone. A terme, estiment-ils, le .fr aura une valeur de confiance localement plus grande que le .com; Loic Damilaville, adjoint du directeur général de l’AFNIC, met également l’accent sur la dimension d’appartenance et de proximité associée en France au .fr. Quant à Olivier Andrieu (Abondance.com), du point de vue du référencement par les outils de recherche, il voit l’intérêt des extensions nationales pour des marchés géographiques précis. (Il souligne en outre le potentiel des moteurs de recherche thématique ou régionaux.) – Les questions de référencement ont fait l’objet de toute une discussion, mais il est malheureusement impossible de rapporter ici l’intégralité de ces intéressants débats.
Les possibilités de développement du .fr restent nombreuses, si l’on songe qu’il y a 1,3 millions de noms enregistrés, en comparaison avec les 13 millions de .de en Allemagne. L’impossibilité d’achat de .fr pour des personnes non résidentes ou représentées en France a contribué à cette situation, même si la limitation nationale n’est pas un obstacle pour de grands acteurs. (Remarquons d’ailleurs ici que, dans la communauté des domaineurs présents, l’intérêt pour les extensions nationales et leur potentiel s’affirmait assez largement.)

Pas de doute: les ventes du .fr sont en forte augmentation

Selon Rémy Sahuc (Sedo), les ventes de .fr sur la plate-forme Sedo ont connu une progression révélatrice, passant de 31 transactions en 2006 à 89 en 2007 et 259 en 2008, même s’il ne s’attend pas à une poursuite de l’explosion, mais plutôt à une stabilisation prochaine à une « vitesse de croisière ». En 2008, les transactions de NDD .fr sur Sedo ont atteint un total de 741.091 €. Les records ont été auto.fr (100.000 €), voitures.fr (50.000 €), comparer.fr (30.000 €). Il ne s’agit ici que des ventes Sedo, qui n’incluent pas les transactions directes, dont certaines ont atteint des montants beaucoup plus élevés.

Quelle place pour les nouvelles extensions?

Outre les noms de domaine globaux (« generic », gTLDs) et les noms de domaine nationaux ou régionaux (« country-code », ccTLDs) déjà existants, la voie est maintenant ouverte à une multiplication de nouvelles extensions (le lancement du .tel – certes différent des autres types d’extension, puisqu’il s’agit d’un annuaire et non de sites complets – se déroule en ce moment même). La question des nouvelles extensions a donc légitimement occupé une partie du programme des RINDD.
Ainsi que l’a rappelé l’avocat Bart Lieben (Cabinet Laga, Bruxelles), l’ICANN (Internet Corporation for Assigned Names and Numbers, organisation à but non lucratif responsable de gestion du système de domaine à l’échelle mondiale) a prévu deux types de nouveaux codes génériques (gTLDs = generic top-level domains): les uns ouverts, les autres limités à une communauté. C’est dans la seconde catégorie que tomberont les TLD que voudront créer des entreprises ou marques (corpTLDs, brandTLDs), l’ICANN n’ayant pas accepté la création d’une catégorie spécifique pour les marques voulant se protéger. La création d’un TLD (top-level domain coûtera cher: la taxe fixée par l’ICANN, sans parler de tous les frais annexes, devrait s’élever à quelque 185.000 $: l’opération n’est donc pas à la portée de tout le monde. Mais pour une entreprise ou marque, avoir son propre code générique (outre des questions d’image et de prestige ainsi que de protection de la marque) devrait donner plus de liberté de communication et produire probablement des résultats optimaux dans les moteurs de recherche (et peut-être, pourrions-nous ajouter, les entreprises ayant leur propre extension auront-elles moins le souci d’enregistrer leur nom préventivement dans toutes les extensions possibles, encore que cela reste à voir, car les deux stratégies seront probablement complémentaires, en tout cas dans un premier temps). Malgré les résultats ainsi escomptés, certains observateurs s’interrogent sur les nouveaux contours qu’une telle explosion potentielle pourrait donner au Web: David Chelly s’inquiète ainsi d’une possible dilution. Comme toujours avec ce formidable outil, nous nous trouvons constamment face à de nouvelles situations, qui nous obligent à revoir des situations que nous pensions plus ou moins établies.

Marc Van Wesemael est bien placé pour en parler, puisqu’il est directeur général de l’Eurid, le registre de l’.eu, lancé en 2005-2006, qui compte déjà plus de 3 millions de domaines enregistrés, avec un taux de renouvellement atteignant actuellement 80% et 2.500 nouveaux enregistrements de noms par jour: Van Wasemael peut donc s’appuyer sur son expérience directe du lancement d’une nouvelle extension. Si doivent naître plusieurs dizaines de nouvelles extensions ouvertes à tous (celles destinées à une communauté ayant par nature leur public spécifique), il estime que ce seront les premiers sur le marché qui auront le plus de succès: l’attention deviendra décroissante pour les autres. Van Wesemael souligne également qu’un défi pour les nouvelles extensions seront les canaux de distribution, car s’il y a beaucoup de nouveaux top-level domains, les services d’enregistrement (registrars) n’accepteront de prendre que celles qu’ils jugeront potentiellement profitables: chaque registrar décide en effet quelles extensions (TLDs) il veut inclure dans son offre. Il existe aujourd’hui 293 registrars accrédités par l’ICANN, dont 93 en Europe (beaucoup de ces registrars ayant en outre de nombreux revendeurs opérant sous leur propre nom). Un registre peut cependant avoir sa propre procédure d’accréditation, différente de l’ICANN: c’est ainsi que l’EURID compte 923 registrars accrédités. Il risque d’être difficile pour certaines nouvelles générales d’être profitables, mais il en ira différemment pour les community-based TLDs.

Ces community-based TLDs pourraient tourner autour d’une activité (par exemple .bank), d’un thème, d’une région (encore que cette dernière catégorie entre plutôt dans les ccTLDs (country-code top-level domains), à l’exemple du .cat de la Catalogne). Les organisateurs des RINDD ont eu l’heureuse initiative de convier les responsables de deux de ces nouveaux projets: .green et .bzh.

.green – une extension d’avenir au service d’un projet de transformation sociale et de conscientisation?

Le monde des domaines a-t-il besoin d’un .green? Probablement pas. Mais l’intervention d’Annalisa Roger, coordinatrice mondiale du projet DotGreen, aura pourtant convaincu plus d’un auditeur de la pertinence d’un projet à vocation philanthropique dont le business plan (puisqu’il faut bien raisonner aussi en ces termes) est astucieux. Il n’est pas étonnant que l’idée vienne d’une Californie toujours réceptive aux tendances émergentes: dans une approche que l’on serait tenté de dire typiquement américaine, le projet DotGreen concilie idéalisme et pragmatisme. A travers l’extension .green, cette organisation à but non lucratif vise à promouvoir la responsabilité envers l’environnement et à créer de nouvelles sources de revenus pour les projets écologiques et le développement durable en général. Tous ses revenus y seront consacrés. En termes d’image, il me paraît très probable que beaucoup d’entreprises américaines, puis d’autres régions du monde, voudront avoir leur domaine .green: cela permettra aux groupes et entreprises d’associer une connotation socialement responsable, explique Annalisa Roger. C’est une idée qui vient au bon moment, alors que tant d’acteurs de l’économie investissent dans des publicités pour se forger une image associée à l’écologie: parmi les nouvelles extensions qui risquent bientôt de se multiplier, je serais tenté de prédire un avenir plutôt riant au .green. Gérée par le registre DotGreen sera ouverte à tous.

Autre projet, celui d’une extension qui marchera sur les traces du .cat: le projet breton .bzh, présenté avec conviction et compétence par Matthieu Crédou (www.bzh). L’association www.bzh veut obtenir une extension .bzh afin de promouvoir la langue et la culture bretonne. Il ne s’agirait donc pas d’une extension ouvert à tous les enregistrements, mais spécifiquement aux Bretons et entreprises ou projets liés à la Bretagne, selon des modalités restant encore à définir. Idée d’abord lancée en 2005 par un député et reprise par la région, l’extension projetée se veut initiative de la communauté bretonne, d’ailleurs, comme le montre la pétition en ligne déjà signée par quelque 18.000 personnes. Le Web « offre de nouveaux espaces de liberté et d’expression pour les langues et la culture bretonnes », explique l’argumentaire du projet. Matthieu Crédou espère que le .bzh ne va pas simplement conduire des personnes et groupes déjà présents sur Internet à y ajouter une extension .bzh, mais stimulera de nouveaux acteurs: l’exemple du .cat a montré que, sur les 38.000 noms de domaine enregistrés, un tiers l’ont été par nouveaux entrants. L’initiative rencontre un écho sympathique en Bretagne, même si beaucoup d’interlocuteurs sont surpris par le prix à payer simplement pour déposer le dossier. L’association www.bzh voudrait atteindre un budget de 320.000 € d’ici l’été 2009 pour déposer le dossier et en a déjà recueilli la moitié. Une grosse somme – et en même temps très raisonnable si l’on songe à tout ce que cela pourrait représenter pour une région: comme j’ai eu l’occasion de le dire à Matthieu Crédou, espérons qu’une entreprise visionnaire, par exemple, saisira l’intérêt de cette initiative et verra l’extraordinaire impact régional que le sponsoring d’un tel projet pourrait représenter pour son image de marque – pour un coût inférieur à celui de bien des campagnes publicitaires. Dans la perspective d’associer la communauté culturelle bretonne, Matthieu Crédou mise aussi sur l’appel aux internautes et à tous les particuliers sensibles à une telle initiative.
D’autres idées encore sont en discussion autour de nouvelles extensions: en particulier des extensions associées à des villes, un thème présenté par Sébastien Bachollet, vice-président de l’ALAC (c’est-à-dire le At-Large Advisory Committee de l’ICANN) et président de l’Internet Society France (chapitre français de l’ISOC). Il y a ici deux écoles: les uns, dans le sillage du projet .berlin, veulent miser sur le nom même des villes (.paris, etc.); les autres préfèrent utiliser les codes aéroportuaires internationaux de la IATA: .nyc (New York City), .bcn (Barcelona). Cela varie bien entendu beaucoup selon les codes, la longueur du nom des villes et d’autres facteurs (sans oublier, même si cela n’a pas été évoqué lors des RINDD, la question de la langue: .geneve ou .geneva?). L’idée va plus loin que la simple création d’une extension de plus: il s’agirait aussi de faciliter la recherche d’information sur une ville: par exemple, en tapant hotel.paris ou taxi.berlin, on aboutirait tout de suite à l’information désirée, au lieu d’une multiplicité de résultats de recherche sur un moteur (ce qui demandera cependant une gestion au quotidien de telles ressources). Comme on le constate, les nouvelles extensions pourraient entraîner des changements que nous n’imaginons pas encore pour les méthodes de recherche d’information en ligne. Stéphane Bachollet appelle d’ailleurs à la réflexion avant de multiplier les extensions: il n’ignore pas le risque d’explosion que cela peut impliquer.

Quand les entreprises relèvent le défi des NDD

Comme nous l’avons signalé plus haut, l’heure est aussi à la réflexion (voire aux projets) sur ce que l’on peut appeler corpTLDs et brandTLDs. Pourquoi donc des entreprises voudraient-elles leur propre extension, en dehors du statut qui y sera associé, en tout cas dans un premier temps.

Bart Lieben, déjà cité, y voit en partie aussi une conséquence de la multiplication à venir des TLDs. Des entreprises s’interrogent notamment sur l’intérêt de disposer d’îles sécurisées, tournant uniquement autour d’elles: pas de risque pour un client de se retrouver ailleurs.

Marcel Botton, président directeur général de la réputée entreprise de création de noms de marques Nomen, ne cache pas qu’il songe lui-même sérieusement – ce qui est compréhensible dans son secteur très particulier d’activité – à créer une extension autour du nom de son entreprise: raisonnant tout d’abord en termes de position, il veut éviter qu’un autre le fasse avant lui. Il mise sur un intérêt de la part des entreprises pour les corpTLDs – et là encore, nul doute que l’encombrement du .com joue un rôle, quand on pense que certains grands groupes n’ont pas leur nom en .com (parce qu’il s’agit d’un terme courant ou d’un nom de famille déjà pris par quelqu’un) et doivent créer des combinaisons de noms, par exemple avec le mot « groupe » (ce qui n’est d’ailleurs pas un vrai problème en termes de référencement, observe Marcel Botton – mais cela risque de l’être pour un trafic spontané).

En attendant les corpTLDs, les RINDD ont permis aux participants de découvrir que bien des entreprises consentent des efforts importants pour obtenir les noms de domaine qui les intéressent, ayant – pour certaines – plusieurs collaborateurs qui s’en occupent à plein temps: à la fois pour acquérir des noms qui leur paraissent importants du point de vue du trafic et pour protéger leurs droits face à des utilisations abusives de noms de marques. Comme l’observe à juste titre Jean-François Poussard (MailClub), pour une entreprise possédant des milliers de noms de domaine, un DN manager est aujourd’hui indispensable (ce qui ouvre d’ailleurs peut-être quelques perspectives professionnelles non seulement pour des juristes, mais aussi pour des domaineurs aptes à comprendre une culture de grande entreprise et les besoins de celle-ci). Comme l’a suggéré un autre participant, il est aujourd’hui nécessaire pour les entreprises de mettre en place une organisation et une expertise dédiée (éventuellement avec un recours à des ressources externes pour les PME ne disposant pas d’un personnel suffisant pour affecter un spécialiste à cette tâche).

Les NDD génériques au service des campagnes de marketing.

Avec son travail chez Sedo, Rémy Sahuc ne peut qu’être convaincu par la nécessité pour une entreprise d’avoir son nom: Sedo.com a été racheté il y a 5 ans pour 80.000 $ (le vendeur en voulait 900.000 $ au départ). Mais des entreprises qui se trouvent dans d’autres secteurs n’ont pas ménagé leurs efforts non plus: les participants ont écouté avec intérêt les récits et réflexions de Chantal Lebrument (responsable Internet du Groupe Safran) et de Julien Vaast (directeur marketing et web de Becquet, entreprise spécialisée dans la décoration et le linge de maison). Véritable « domaineuse d’entreprise », Chantal Lebrument a acquis de nombreux noms génériques par rapport aux activités du groupe – lequel n’a cependant pas réussi à obtenir safran.com, dont le propriétaire s’est tout simplement révélé trop gourmand (le genre de leçon qu’il n’est jamais inutile à des domaineurs de méditer!).

Quant à la stratégie de Becquet, elle a été double. D’une part, acquérir ou racheter le nom de l’entreprise dans les principales extensions. Le plus gros rachat à un tiers homonyme a été celui de becquet.com, acheté finalement – et après deux ans de négociations – pour 100.000 $ canadiens à son propriétaire, qui l’utilisait pour des adresses électroniques de personnes ayant ce patronyme. Becquet.eu a été racheté en 2007 pour 5.000 €, becquet.de en 2008 pour 15.000 €. Pour une entreprise dont les ventes à distance sont importantes, de tels investissements se justifient.

Mais l’autre face de la stratégie développée par Julien Vaast pour le compte de Becquet a été la réservation et le rachat de noms génériques: pour les activités groupe, un nom tel que draps.com présente un réel intérêt commercial, en raison des recherches directes. Pour l’instant, ces noms génériques sont redirigés vers le site principal de Becquet. En revanche, au Groupe Safran, Chantal Lebrument explique avoir créé quelques petits sites d’information autour de mots clés, sites avec du contenu, mais qui invitent également les visiteurs à aller voir les pages du groupe pour les produits associés au minisite.
Selon Jean-François Poussard, rédacteur en chef de MailClub.info, nous assistons à une augmentation du nombre de rachats, en raison de la saturation de l’environnement Web: mandaté par des clients, MailClub procède chaque mois à une trentaine de rachats pour le compte de sociétés. Jean-François Poussard rappelle qu’un lien sponsorisé est éphémère, tandis qu’un NDD est un bien immatériel, qui reste la propriété de l’entreprise (pour autant qu’il soit renouvelé). Le trafic naturel représente un réel intérêt, en particulier pour les noms de domaine .com.

Une chose est en revanche certaine: autant les entreprises sont ouvertes à des négociations raisonnables pour le rachat de noms qui les intéressent avec des propriétaires de bonne foi et ne portant pas atteinte à leurs droits ou à leur image de marque, autant elles n’accepteront pas de céder à des cybersquattteurs qui essaient de réaliser des profits de façon abusive: plusieurs d’entre elles n’hésitent pas à les traîner devant les tribunaux. Ce principe a été réaffirmé avec autant de force que de bon sens par Yves Estor, du Groupe 3 Suisses International: payer un cybersquatteur pour récupérer un domaine qu’il détient de façon abusive, ce serait comme rémunérer un pickpocket pour récupérer le porte-monnaie qu’il vient de subtiliser dans votre poche. Plusieurs entreprises mandatent des experts pour des veilles très pointues afin de repérer en permanence les cas problématiques.

Tous ceux qui s’occupent de noms de marques ou de droit des marques reconnaissent que les noms de domaine ont changé leurs façons de réfléchir et d’agir: d’emblée, les noms sont mondiaux, et pas limités territorialement, contrairement aux marques. Dans une intervention dynamique et passionnée, l’avocat André Bertrand (qui s’est occupé de l’affaire PagesJaunes.com, dont il serait trop long de relater ici la saga) affirme que les NDD sont venus complètement bouleverser le droit des marques. En ce qui concerne les noms génériques et descriptifs (comme « pages jaunes »), l’unique principe qui doit s’appliquer est celui du « premier arrivé, premier servi »: les tentatives de juges français d’aller dans un autre sens lui paraissent non seulement infondées, mais également anticoncurrentielles. Avec 2 millions de marques actives en France, la situation lui semble être devenue incontrôlable.

Pour Christian Derambure (président de la Compagnie nationale des conseils en propriété industrielle), la charge va un peu trop loin: ce n’est pas le droit des marques qui est en cause, mais son application. Il s’agit plutôt de trouver un mode de régulation adéquat et adapté à une nouvelle situation, créée entre autres par les NDD.

Conclusion

Comme le montre cette brève synthèse, nullement exhaustive, ce programme riche a permis de nourrir la réflexion de chaque participant et de mettre à jour leurs connaissances. L’atmosphère a en outre été cordiale, permettant de nouer de nombreux contacts. Tout laisse penser que le succès de ces premières RINDD aura convaincu les organisateurs de répéter l’expérience, peut-être l’an prochain. En attendant, remercions-les de cette première édition.